Petite anecdote d’une succession…

Laissez-moi vous raconter la petite histoire d’une succession remplie de rebondissements…Ça aurait pu être une succession des plus banales, si ce n’était que le défunt n’avait pas daigné rédigé son testament. Dès lors, nous entrions dans la troisième dimension (the twiligth zone!), quel horreur! Nous avons sorti notre Code civil afin de déterminer qui serait les héritiers du défunt. Tout se passait bien, avec l’aide de la famille nous avons été en mesure d’établir la Déclaration d’hérédité, document remplaçant le testament. À l’ordre du jour, des frères et sœurs (certains décédés) et des neveux et nièces. Je sais ce que vous vous dites…y a rien de bien bien compliqué là-dedans…nous aussi on croyait ça!

Afin de remettre la part de tous et chacun, nous avions besoin de les identifier. Nous avons demandé à des membres de la famille de nous fournir les adresses de tout ce beau monde. Ils ont été capables d’identifier et retracer tout le monde…sauf un…un neveu que personne n’avait vu depuis des années. C’est là que l’histoire a pris une tangente des plus dérangeantes. Les règles québécoises prévoient qu’un liquidateur ne peut ne se départir de la part d’un héritier à moins d’avoir la certitude que ce dernier est décédé. Si on ne peut prouver le décès en apportant au liquidateur un acte de décès, on doit conserver la part de l’absent et éventuellement la remettre à Revenu Québec, sous l’égide des biens non réclamés afin de finaliser la liquidation de la succession.

Oh que non, les héritiers ne voulait rien entendre de cette solution. Ils étaient certains qu’il était décédé, autrement, bon dieu, il aurait donné de ses nouvelles aux membres de sa famille! (Je dois conclure que si j’avais fait parti de leur famille, moi aussi je me serais éloignée le plus loin possible…). Ils ont demandé haut et fort une autre solution, plus acceptable. À la table à dessin, une idée de génie nous ait venue! Depuis combien d’années est-ce que ce fameux neveux n’avait pas donné de nouvelles à ses proches? Ils étaient unanimes, près de dix ans. On tenait alors une autre solution à l’exclusion des biens non réclamés…nous allions le faire déclarer absent.

Au Québec, le Code civil prévoit qu’une personne portée disparue peut être déclarée absente par la Cour dans la mesure où sa disparation date de plus de 7 ans. Déclarée cette personne absente équivaut en fait à la déclarer décédée, le registre de l’état civil une fois le jugement obtenu est modifié en conséquence et sa succession peut être ouverte et liquidée. Cependant, avant de se présenter devant un juge de la Cour Supérieure du Québec, on doit tout de même faire des efforts jugés suffisants pour prouver que la personne disparue est fort probablement plus en vie. Aucun problème selon la famille, nous allons faire les démarches nous ont-ils promis.

Un dossier a été monté afin de prouver à la Cour que l’absent était manifestement décédé autrement, on l’aurait retrouvé! Un détective privé a été engagé afin de faire des recherches au Brésil, pays de naissance du fameux neveux…résultats aucun acte de décès, ou de mariage,et aucun neveu. Des recherches au registre civil du Québec n’ont amené aucun résultat. Ils se sont alors tournés vers les États-Unis, certains membres de la famille ont épluché les pages blanches de plus de 10 états américains où auraient pu s’installer le disparu…niet…toujours rien. Mais avec toutes ces recherches infructueuses, nous avions monté un dossier assez important pour que la Cour détermine que le neveu était absent au sens de la Loi québécoise et un jugement fut émis à cet effet.

Fort du jugement déclarant le neveu absent, nous avons entrepris les démarches afin de régler sa succession. Comme là encore nous étions en présence d’un présumé décès sans testament, nous avons rouvert notre Code civil au règle de la dévolution légale. Un juriste aurait gardé une certaine réserve en parlant à la famille, mais malheureusement, le liquidateur nommé n’était pas juriste et il s’est empressé, sans nous le mentionner, d’affirmer et de répéter à de nombreuses reprises à la famille que les biens du neveux seraient répartis en parts égales à chacun des membres de la famille, déjà identifiés à la succession de l’oncle. C’était d’ailleurs sur ce fait que la majorité des membres de la famille avait insisté pour aller de l’avant et obtenir le jugement d’absence. Ah! l’appât du gain, ce que ça peut bien faire au plus commun des mortels…

Juriste que je suis, alors que le liquidateur m’enjoint tout bonnement de préparer les chèques en parts égales et de les faire parvenir, je ne peux m’empêcher de relire les règles de la dévolution applicable. Devant le liquidateur je refuse catégoriquement d’écrire les fameux chèques. La loi ne prévoit pas une distribution en parts égales, mais plutôt, une distribution à la seule tante survivante. Malheur, nous venions de déclencher une guerre familiale intestinale sans précédent. Avoir su que seule leur tante hériterait, ils n’auraient pas obtenu le jugement d’absence et n’aurait pas fait les démarches nécessaires pour monter le dossier de la Cour. Mais bon, ils n’ont pas le choix, la Loi c’est la loi. Ils doivent se résigner, ils ne recevront aucune somme lors de la distribution…du moins c’est ce que nous avons tous cru.

Un seul chèque a été remis, à la tante, seule héritière selon les règles de dévolution légale. Cette dernière, assez âgée, commençait a devoir entamé son capital et ses enfants étaient inquiets qu’elle aurait assez d’argent pour vivre jusqu’à la fin de ses jours. Cet héritage constituait rien de moins qu’un cadeau du ciel. On était tous heureux du dénouement, ou du moins de ce qu’on croyait être le dénouement.

Deux semaines après avoir clos le dossier en remettant les sommes à la tante de l’absent, le téléphone retentit, un appel de New York…un fameux neveu venait de renaître de ses cendres! Et oui, certains membres de la famille, incapable de digérer les règles de la dévolution légale, ont débarqué tout bonnement à New York et ont retrouvé l’absent…en deux trois mouvements. Quelle surprise que de discuter avec cet homme prétendant être la personne que nous avions tant cherché pendant plusieurs mois sans succès. Le membre de la famille qui l’aura retrouvé nous indiqua à quel point ça avait été facile de le retrouver, un simple petit détour à l’hôtel de ville de New York. Il était chauffeur de taxi à New York, marié et père de famille. Nous avons dû prévenir la tante, rapatrié les fonds et brisé ses espoirs de finir ses jours confortablement.

Nous avons insisté pour que l’absent reface surface dans nos bureaux montréalais armé de son passeport, de son certificat de naissance et d’un affidavit signé par une personne le connaissant bien et attestant qu’il était bien celui qu’il prétendait être. Tous les documents concordaient. Nous n’avions d’autres choix que de lui remettre son héritage.

À ce jour, j’ai toujours des doutes sur l’identité réelle de cet homme qui s’est présenté à moi pour recevoir l’héritage de son once, et que la famille nous aura présenté comme un vieux cousin éloigné dont on a momentanément perdu la trace, ni plus ni moins. Même sa tante, qui aurait hérité, s’il n’était pas revenu soudainement à la “vie”, ne l’aura pas reconnu lors de son passage dans la Belle Province. Je mettrais ma main au feu que l’appât du gain est derrière ce dernier acte d’une pièce sortie tout droit du répertoire du bizarre…Alfred Hitchcok aurait été fier!